Entrée
1ère boule
INSTRUCTIONS
Entrez dans la petite machinerie de cet espace
où nous campons
nous pouvons en faire le tour
rien qu’avec un oeil
rien qu’avec l’oreille
Entrez abouchez-vous débarquez
aux installations portuaires du moi
tout ce qui est dit là
va de bouche à oreille
Entrez donnez-moi une pièce faites-vous pièce
roulez-vous
pile et face roulez venez enclenchez la musique
Vous entrez en ville par jour de foire
vous venez devant le jongleur
faites attention
aux tire-laines et coupe-bourses
qui au-dehors feront le siège
Entrez jouez « pour le plaisir seulement »
Seulement?
faites jouer la pièce au-dedans que ça marche
qu’on renouvelle l’air de la tente sonore
qu’on motorise à neuf la vie
ICI
c’est du préparatif
c’est tout
Quand les réseaux s’allument
avec ceux de la rue
grande nappe fondue
en néons enseignes lampes phares
cigarettes catadioptres
et ceux qui passent avec toutes leurs ombres
on est quelques-uns debout
à gouverner la boule
dans le quartier fermé d’un flipper
Dans la partie la boule jaillira trois fois
elle atteindra un score à partir duquel
on basculera dans une autre partie
ou rien
en cas d’échec il y aura la loterie
ou rien
pour l’instant on voit les pièces s’engloutir
dans la fente Dehors les passants engouffrent
dans les fentes des portes
Debout devant le plateau en pente
On appuie sur un bouton rouge
PREMIÈRE BOULE
Quand ça dévale en incursion
en invasion de Jolimont
petite tête posée à plat dans l’aube
maintenant que tu dévales
au bout d’un corps d’homme
Tu verras la longue palissade
de bois tenue serrée par les affiches
Ou par quelques casques posés
En attendant la fin de la journée
Écoute le vent tiède et offre tes cheveux
Une légende passe
Et personne n’écrit
Et plus personne n’écrira
Dans ce désert pas évident
Avec les pillards en voiture
Chariot des rois fainéants
Qui dure
Petites histoires
Recollez le monde éparpillé
Petites bordures
Le corps est une balle qui roule
Ses mosaïques de mots
Et les images enchaînées
Entr’elles entraînent
Les hommes du manège
Ils font tourner le cheval à bout de corde dans le
quartier fermé
là où on piétine ses bagages son enfance son butin
Une mémoire éparpillée
qui ne s’allume qu’à certains choc obscurs
et encore
De cette vie en pente
faite de bordures de butés de passages de
blocages
d’accélérations de la lenteur
et la disparition
Cheval
Maintenant qu’on t’a découpé
Pétales de chair à l’étal
Comment te réunir
Dans ta course arrêtée
Comment te redonner
Le pré qui te portait
Dans la lumière
L’écuyère des néons s’ennuie
Elle resserre son tutu
Et son corset de moucherons
Elle le jette
Dans la lumière
De quel côté de la vitre reposent les mannequins
figés
Dehors dedans
Une buée atteste la transparente limite
Mes compagnons de jeu sont bien dans le regard
Eux aussi basculent dans ce jeu en pente
Sans savoir ce qu’ils mettent en jeu
La plupart sont très jeunes
Petits singes d’adultes
On ne parle pas
Les hommes jouent dans le café
L’alcool fait marcher la machine des grands
Un piquet dans l’enfant
La corde dans l’adulte
Tout le corps au milieu à rebondir entre les deux
Danseur
La nuit rameute ses réseaux
Elle déchire l’écran brouillé
De la journée désaffectée
Laisse flotter les formes floues
Dans la paresse de passer
Sous la buanderie des murs
Entre temps dans l’intervalle
où la boule ralentit
et ne provoque rien
les yeux s’envolent à l’entour
ils vont fouiner
ailleurs
Il sort de chez lui
Un carrefour attend devant la porte
Son silencieux navigateur balaye
Le ruisseau du trottoir
Immobile charrie
Des collections d’objets déchirés cassés
La boule reprend le même passage
Sont sortis avec lui
Un pull bleu un pantalon blanc
Le sourire de son amour
Dans le pli violent du regard
Des clés des pièces un mouchoir
Un goût de café en suspens
Et pas de chant
Dans les haies qui bordent
De leurs ailes closes
Le cavalier
Tiens il est à pied
Tombé de l’histoire dans une autre histoire
Se déroulant là
A hauteur de pas
Une musique monte longue
Depuis la maison sans volet
Devenue la maison sonore
Avec ce peu de vent qui fait
Ce que notre souffle ferait
Ne gèle pas musique
Laisse-toi suivre
Emporte-nous
Au creuset de tout
Désenclave l’heure
de ses eaux dormeuses
Fais-la jaillir
Le Flipper renvoie la boule dans le Creuset
Sur les instructions ils appellent ça une soucoupe
« La Boule passant dans la soucoupe
active la lettre allumée »
Sur l’affiche
Le cavalier retrouve son cheval
Il chevauche sur l’autoroute
Un jean
E Ici ça a allumé la lettre E
La boule s’échappe du creuset
Une languette l’a chassée
Elle attrape la targette qui ouvre le petit portillon
De ce côté au moins
La boule ne se perdra pas
Puis elle abat la dernière cible
Aussitôt toutes les cibles rejaillissent
Bordées d’une petite lumière orange
Si je les décanille toutes de nouveau
J’aurai une boule gratuite
P A nouveau la lettre s’allume
Le cavalier arpente immobile
Le champ déboutonné de l’œil
Devant le cheval électrique
E
La boule vient de prendre le petit portillon
Elle va repartir
J’attends : je vais à la fenêtre je l’ouvre je regarde
Les autres au loin comme à côté ceux du jeu
Ils étaient loin derrière leurs grilles
puis leurs portes puis les cloisons
puis leurs peaux
et encore au-dedans jusqu’à un centre inexistant
puisque le centre c’est tout ça
L’AUBRAC
Et tout le pays de nous
Étendu devant nos yeux
Vagues vaches qui défrichent
Le peu d’ombres qu’il s’y fait
Les engoulevents portent le vent d’aube
La lande s’accoude au ciel accoudé
Tes lèvres pâturent le lac bleu nuité
Quand ton coude a bougé
Le chemin a tourné
et tes épaules collines
et les touffes brunes des prés
jaillis de ton ventre sablé
L’Aubrac
Haut plateau posé
Quelque part dans le géographique
Que tu connais
Tu descendras des cartes laborieuses des écoles
Tu deviendras le projet de ce pays
Qui reste là à s’ancrer
L’Aubrac
C’est l’infinie série d’aciéries musicales
Où la terre et la chair font alliage de chant
où traversent des chemineaux
Inquiets de leur présence
Ce monde ouvert fermé
Aux bulles de deux fleurs
Éclatées en surface
L’aube racle
Garde ma sœur
Tes yeux de « boralde »
Force le vent petite monture d’oiseau
Les murettes s’entraînent à enclore les prés
Les feuilles bougent un vent
Qu’elles inventent bruité
Et le ciel est plus près
Et tout nous est plus proche
Et nous sommes plus proches
Dans ce vent délacé
Qui vient poser les oiseaux au bord de la roulotte
Ô que ce monde reste et réside au dedans
Vite que je l’entraine dans ces mottes de son
Où on va chercher des pousses de soi
Ô pays ouvert ô pays de nous
Ô terre tissée de bosses et de trous
Ô lumière belle qui vient ratisser
Tous les vieux quartiers de Toulouse abandonnée
L’aube éclate
Garde ma sœur
Tes mains de cascade au décor du Déroc
Corde le vent petite monture d’oiseau
Tu débordes les roulottes
Et voici les pèlerins
Et voici les pèlerins revenus qui traversent et qui vont s’arrêter
A l’abbaye des rochers
Et tout le pays de nous
Étendu devant nos yeux
Felouques d’oiseaux danseurs
Aux fissures effacées
Et monte le chant
Des chairs essartées
Bruyère posée au bord de marcher
Le plateau écrit
des bêtes figées
Alors un berger passe
Qui ne nous verra pas
Disparaît dans les claies