le
musée
du scaphandre
Dans le reliquaire défait
A la différence des Musées Ingres et Champollion que je ne connaissais que comme musées, le Musée du Scaphandre et des Arts et Traditions populaires a ceci de particulier pour moi de se situer dans le lieu d’enfance (aussi pour Bernard Molinié). Ce qui a pour conséquence que le scaphandre de mon écriture ne pouvait pas être étanche, constamment traversé d’images poissons. Mais j’étais déjà dans un autre scaphandre d’où je voyais passer sur le marché les visages vieillis des anciens.
J’avais déjà écrit plusieurs plongées en enfance, toutes incomplètes et à la fin de la Diagonale d’Espalion à Lavaur - je ne m’en souvenais plus- j’avais écrit ceci: « ce pays n’est pas de terre mais de profondeurs océans. J’ai besoin d’un scaphandre spécial pour m’aventurer dans ces eaux. ». J’avais aussi écrit: « je tourne lentement le dos au ventre d’enfance ».
Il n’était dès lors plus possible de replonger dans l’enfance en morceaux. Je me devais un regard neuf, si possible désencombré, des multiples objets de la mémoire mais j’entrais de plain-pied dans un lieu encore plus encombré, un vrai « scapharnaüm ».
Il faut dire que l’ancienne église Saint Jean Baptiste accueille deux musées. L’un au rez-de-chaussée est donc celui du scaphandre, bien que par l’entrée du côté de la place du marché nous nous heurtions à des vitrines emplies de statues en bois, d’un curieux bouc ou brise-tome au style africain, de clefs, de serrures etc.(vous verrez que l’etc. reviendra souvent, n’ayant pas vocation à faire l’inventaire). Tous ces autres objets appartiennent au musée des Arts et Traditions populaires, surtout connu sous son ancien nom: musée Joseph Vaylet.
Joseph Vaylet est une figure d’Espalion. Félibre (poète occitan) il n’a cessé toute sa vie de collecter tout ce qui lui semblait avoir un intérêt de conservation pour les générations futures. Ce qui a donné lieu à une accumulation d’objets hétéroclites occupant une partie du rez-de-chaussée et tout l’étage, auxquels il faudrait ajouter les cuivres, poteries et livres entreposés aux anciennes prisons, maintenant Musée du Rouergue.
Il y a dans la cuisine traditionnelle rouergate reconstituée l’affiche d’une exposition de Robert Doisneau au musée Nicéphore Niepce de Châlon sur Saône. C’est une photo de Joseph Vaylet tenant devant lui une statue en bois dite statue du député de la Montagne qui lui ressemble étonnamment.
Fendre les liens
Naître
Apparaître au monde
Suçant le sein d’une vierge auvergnate.
A travers l’inondation de 1920
et le reste
Abandonné derrière les photos
Hors du caisson natal.
Dans ce cas
Fendre
Tout ce qui peut être fendu
A coup de bouc ou bure-tome
Puisqu’il y a aussi la chemise fendue
A la place du sexe
Au-dessus de la fente: DIEU
Au-dessous: LE VEUT
( et je me souviens de Joseph Vaylet
expliquant tout excité
à une touriste hollandaise au visage empourpré
la fonction conjugale de cette chemise
fendue)
Fleuron du lieu
Béance sur tout ce qui va advenir.
Fendre
Et rendre tout aux fonds marins
Asséchés
Où nous sommes
Résidents du passager
Dans le reliquaire défait
Plonger
(mais plombs j’ai au corps)
Souliers de plomb
pour lester le corps
au fond de l’eau.
En miroir
souliers hérissée de longues tiges de fer
pour décortiquer les châtaignes
nommés SOLOS.
SOLOS
Pour choses seules
Chaussés pour décortiquer le monde
ou les mots
Extraire de la bogue piquante
le fruit d’amour
Enlever ses peaux successives
et accéder au coeur en fusion
du désir.
(Lucien Cabrolié nous dit:
« le corps est peut-être le scaphandre de l’âme »
Bernard répond: « Qu’est-ce que l’âme? »)
En bas rien ne vient me chercher
Moi le sandre scindé en deux
Dans la mémoire enfance/enfonce ici
Sommée de se faire océan
Pour l’arpenteur enclos
Dans son scaphandre de langue
Et ailleurs la dé-vie
Nulle phrase sacrée
Déjà j’étouffe
Quelque chose pèse de plus en plus
Que j’ignore
dans l’épars sapé.
Les cendres des prés recueillies
Dans le vase absent
Le croyez-vous un samouraï attend au bas de l’escalier!
En prise sous la cloche
Diverses cloches
Enfoncement sous le rideau d’eau
Très loin la mare en cage
Pour s’assouplir
(André Breton paraît il voulait remettre la collection de bénitiers)
Plonger le doigt dans le bénitier
Est une aventure spirituelle
Dans l’un de ces bénitiers
On trempe le doigt
Dans un cœur
troué
Par le haut
Combinaisons de plongées dans les bénitiers
14 panneaux contenant respectivement
19 21 25 26 25 22 18 18 19 29 14 17 8
soit donc 287 bénitiers au chevet de 287 lits
de 287 chambres où s’enfonce le scaphandre
de fendre le temps.
( Et pourquoi un musée du scaphandre en plein milieu des terres?
Tout simplement parce que les inventeurs de ce scaphandre sont originaires d’Espalion. Chacun habitait sa rive du Lot.
L’un Benoît Rouquayrol, ingénieur des mines inventa un appareil destiné à aller rechercher les mineurs victimes d’un coup de grisou. L’autre Antoine Denayrouze, officier de marine eut l’idée de l’adapter pour les plongées sous-marines).
« Le fil qui est relié au casque »
Ils vont et viennent les visiteurs
Comme des poissons autour de nous
Scaphandriers d’écriture.
« En plus les fils ils sont reliés aux trous du nez »
« C’est ceux-là mes préférés de casques »
La voix du fils relié au père.
« Le monsieur il est là pour nous vérifier les billets? »
« Y a du sable.. »
« Pourquoi plonger? »
« Pour sauver »
PLONGEE
PROLONGEE
EPONGE
EN POGNE
C’est en voyant à l’Exposition Universelle
le scaphandre inventé
par Rouquayrol/Denayrouze que Jules Verne
eut l’idée de l’utiliser dans son livre
Vingt mille lieues sous les mers
Peut-être que Nemo
n’aurait pas existé sans eux.
Ce sont eux les auteurs
pas Jules Verne
De même ce sont eux
qui vont inventer ce qui s’écrit
en moi
Et ainsi va le monde
d’où nous retirons un poignée de phrases
que nous jetons au feu
Juste après les avoir décortiquées
Solos. Solos.
En attente d’automne
et de fusion nouvelle
Entrée rue Droite
Mais tout est à l’envers
La visite devrait commencer
par l’autre côté
Boulevard Joseph Poulenc
D’ailleurs la porte est ouverte
Dans l’antre on peut voir l’insecte jaune
et la belle scaphandrier
Vierge noire au regard bleu
qui fait signe de pénétrer
Main un grillage en plastique vert barre le seuil.
Les pieds lourds
nous marchons
Les pieds lestés de mémoire du lieu
(vingt mille lieux)
Nous marchons
Nos pieds marchent à notre place
que nous avons quittée.
Puis guidés par le fil des phrases
Nous avançons dans le milieu hostile
Aspirant l’air partout où l’enfance a respiré
Assis à la cuisine sur un banc
En asthénie
Avant l’apnée
Re-plonger par petites étapes dans les petits enclos.
Au-dehors les voix enveloppantes du marché
Les emplettes-les courses des chalands/chaluts
Mais plus personne n’apportera ici
Les légumes les fruits
Dans cette cuisine encombrée
De mortiers à piler le sel, de poêles, de pichets
De fers à repasser, de pièges à guêpes etc.
Cette nuit un jeune homme de vingt-huit ans
A escaladé avec des amis l’enceinte de la piscine municipale d’Espalion
A eu un malaise
Les pompiers l’ont dans un premier temps ramené à lui
Mais il est tombé dans le coma
Est mort
Pas de scaphandre pour le sauver
Nous nous immisçons dans le lieu
Un peu comme dans un espace mal fini
Incomplet
De partout des appels à la mer
Qui ne répond pas
Qui est partie
Il y a très longtemps
Mouchettes à bougeoirs enfermées
Sous le verre
Voilà nos heures ferventes
(allusion à un recueil de Joseph Vaylet)
Un peu plus haut la chambre
Attend l’enfant :
« Moi, ici, couché dans ce petit lit
par la Providence de Dieu, que son saint Nom soit béni
et que Dieu me bénisse, moi, mon père et ma mère
et que Dieu fasse la grâce qu’il n’y couche des autres après moi. »
Texte traduit mot à mot du vieux français gravé dans le bois XVIII ème
Terrible prière
Puis à nouveau les tubes, les cloches, les casques
Les pieds lourds, les bénitiers, les outils en bois, etc.
Ainsi après
Replonger dans la langue
(puisque tout est nommé)
Dans les éclats de langue, ls mots morts (liste à dresser)
Veufs des mains enfoncées dans les combinaisons de la mort.
( Un berger a même sculpté un squelette)
Poisson : un seul
Le pique-burnes
Ou châtaigne ou oursin (couvent des Ursulines)
Cette forme récurrente
hérissée de piques
Comme l’invention de Léonard de Vinci
(réalisé par des artisans bénévoles d’ici)
L’homme et le monde sous-marin.
Par la porte ouverte dans le grès rouge
On voit les passants du marché
Passer avec l’allure bonace des poissons.
Vaylet : premier scaphandre/félibre
Lavallière et chapeau noir
Dans sa cloche/musée
A laissé déposer les sédiments du temps
(jusqu’à la figurine en plastique d’une vache)
et nous, munis de pinces/phrases
nous détourons chaque objet de son silence
et le donnons en offrande aux lecteurs à venir
le temps d’un collage béni.
Faire le lien avec la marche.
Dans les rues bondées de ce vendredi 27 juillet
Je reconnais pleins de gens au visage vieilli
Éclats d’un autre temps
Et je me dis que pour moi
Ce sont les prolongements de chair
De tout ce qui est entreposé ici.
Tout devrait circuler sans cesse
Ne jamais se figer derrière les vitrines
Qui nous regardent comme des hublots de scaphandre.
Nous sommes à la recherche
De quelque chose qui n’existe
Que dans le mouvement entre ici et ailleurs
Entre dedans et dehors.
Pourquoi tant de couteaux?
A la Grave, la statue du scaphandrier
Vers qui nageaient les canards
Sur la rive deux hommes, de leur talon,
Frappent la terre imbibée d’eau :
Deux pécheurs pour planter leur canne.
Ici le maître mot sera décompression.
Je ne sais pas encore pourquoi.
Les scaphandres attendent
Toute la journée
D’aller sauver les noyés
Qui passent tout à côté
Dans ls rues sur le marché
On entend parfois des cris
Mais personne n’a eu l’idée
Une seule fois
De les venir chercher.
Les scaphandres attendent
Toute la journée
Les scaphandriers
Qui sont au café.
A tel point le passé
a été déserté à tel point
que le présent en est atteint
et tremble de plonger à son tour
dans les flaques
de ce qui ne reviendra plus.
Le « pèsement » des âmes
Comme au Musée Champollion
(sculpture au tympan de l’église de Perse
Tympan percé, trop de pression,
trop vite descendu, jamais remonté d’enfance)
Petits visages dans la pierre
Regardant vers le petit escalier
Aux marches usées
Montant en colimaçon vers le ciel
L’improbable venu des corps engoncés
Dans les scaphandres
Qui ne remontent plus
En surface.
Petits visages dans la pierre
( Et sous l’un : deux seins bien ronds)
Qui attendez-vous arrivant
Par ce petit escalier aussi secret
Que celui des Ménines de Velázquez
Dans le fond du tableau?
Scaphandre et sarcophage
Passés en exil.
L’espèce de hanneton géant jaune
Que l’on peut voir depuis le boulevard
Est-ce l’insecte de la métamorphose de Kafka?
Scaphandre : corps en voie
De métamorphose
Y plongeant vaillamment.
Éteint/rallumé
Souffle. Air. Compression.
Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul.
Seules photos du temps présent :
Le club de plongée à l’œuvre
Durant l’essai du poumon artificiel
Ou réservoir régulateur dans sa version narghilé
(avec alimentation à la surface.
Il s’agit de l’appareil authentique de l’époque)
par le plongeur Belge Robert Sténuit, en 1987.
Autres photos : l’essai aux USA
Avec Jean-Michel Cousteau.
Les autres vivants sont absents.
Tous ces attelages pour aller où?
Vers quels champs, quelles prairies?
Pour remonter quelles épaves?
D’ici à là, de haut en bas
De bas en haut, dans la verticale
(12 pour te rendre hommage Christian Da Silva, poète parti trop tôt.)
L’escalier en pierres rouges aux marches usées
Mène à des époques révolues et enfoncées dans le passé
Toutes proches pourtant.
Même aujourd’hui semble un musée
(Dans une des rues une maison, derrière la vitrine
-peut-être un ancien magasin- des plantes en pots
toutes sèches.
Le musée déborde partout.
Du côté du boulevard
A l’entrée de l’antre par où l’on ne peut pas rentrer :
une sirène en combinaison noire.
Que savait-elle de la mort du jeune homme l’autre nuit?
Encore l’eau
Contre laquelle se battre, toujours.
Comme battre le linge, les linges de nuit.
Battre la nuit comme un linge
Et la mort aussi
Qu’elle donne jusqu’au bout
Le jus de la vie
L’accoler aux autres linges
Les faire sécher
Sur le fil relieur
Fendre ces linges, en faire des voiles
Les accrocher aux arbres
Et les faire partir
Sur le Lot très loin vers les ancêtres
Éparpillés sur les photos
Surpris d’être LES SURPRIS D’ÊTRE
Tout m’est scaphandre
Ma langue, mes yeux
Pour arpenter de mes pieds lourds le sol d’enfance/enfoncé
Dangereux! Attention! Danger!
Le sol est miné
Coup de grisou au cœur Venez me chercher.
Ici se met à travailler
L’obstination.
Vertu Aveyronnaise
Être l’obstiné d’être
Du creusement. Mine ou galerie.
Apprendre à déplier les couches d’écriture
Dune façon nouvelle.
(Comme Rouquayrol les couches de houille
On entre on sort
On inspire on expire
On monte on descend
On souffle
On se retient
On parle
On se tait
On marche on s’arrête
Simple pivotement et le monde a changé
Puisque l’angle de vue a re-figé les choses
Dans leur « stationnarité »
Puis piétinement rien ne sourd
Les sources les ruisseaux les fleuves les lacs les mers
Rien n’est resté tout s’est écoulé
Au bas des pages
Dans l’illusion fluide
Parmi les fleurs en hauteur de la place du marché
Qu’un employé municipal
Arrose à partir d’une citerne tirée par un tracteur
Remplie d’eau de Volvic
si l’on veut bien en croire l’étiquette.)
NOS CAMPAGNES : UN ATTELAGE
On ne sait pas d’où ont jailli tous ces objets
Tous ces fragments de l’ancien monde
A quoi vont-ils servir?
On ne sait pas où entrer
dans l’espace chiffonier!
On a parlé alors avec Bernard de Pépou le Piarot
L’ancien prisonnier de guerre allemand de la guerre de 14
Qui était resté. Il vivait rue de Perse avec Marinette
et son âne. Puis quand leur maison a brûlé
Ils ont habité la « pompe » sous l’église de Perse
Qui montait l ‘eau à la gare.
A quarante ans t’es cuit!
Assis devant l’armoire
Et le rouet
Face à la lavandière
Battant le linge
Ancien monde figé dans ses éclats
Onze heures sonnent : des rires d’enfants
Qu’y a-t-il dans les armoires que nous n’avons pas ouvertes?
On ne sait par où commencer
Sinon par la fin
Le début est au bout Tout se mêle : âges et éléments
Objets
(Ça c’est quoi? Baffe! Faut pas toucher!
et ça et ça pour faire quoi?
pour casser la terre
et ça et ça??)
A côté de moi le menhir à figuration anthropomorphique
« Visage incomplet »
CLAPE : cloche de transhumance
Avec un os pour battant.